Le shintoïsme n’a pas la même origine que le bouddhisme. Il faut bien comprendre qu’à la base, ces deux croyances n’ont pas grand chose en commun. Au cours de l’histoire, elles se sont influencées mutuellement jusqu’à devenir une seule et unique entité, avant d’être à nouveau séparées. Visiter les sanctuaires d’Ise permet de découvrir un shintoïsme plus originel, comme resté dans sa bulle. Il n’y a aucun endroit au Japon qui représente le shintoïsme de manière aussi pure.
Pour moi, le Japon n’est pas un pays monumental. Sauf pour ceux qui s’intéressent à sa culture et nourrissent l’envie d’y aller après avoir étudié le sujet, ce n’est pas un endroit où les touristes enchaînent les « waouh » lorsqu’ils sont confrontés aux codes esthétique originels. Trop sobre, trop simple, trop discret, pas assez grand, sont des remarques que peuvent aisément ressentir des voyageurs un peu arrivés au Japon comme un cheveu sur la soupe.
Un non initié sera très souvent perplexe devant un jardin sec, sans plantes et verdures, avec pour seule chose à regarder qu’un tapis de cailloux. Le clinquant du Pavillon d’Or parlera beaucoup plus facilement au monde entier car il en met plein la vue et ne requière aucun travail sur soi. Il a quelque chose de monumental que les sanctuaires d’Ise n’ont pas.
Autre exemple : Nikko. Aussi jolis et incontournables que puissent être ses sanctuaires, ils ne représentent que peu la sensibilité esthétique du shintoïsme, et outre mesure, du Japon. Ils sont le pur délire prétentieux du shogun Ieyasu Tokugawa. Nikko a trop de tout. Le sanctuaire Toshogu en met plein la vue avec son style baroque mais que reste-t-il de l’essence discrète et raffinée du Japon ?
Ise représente ce Japon un peu dur d’accès. Il demande de l’investissement de soi. Il fait appel à notre sensibilité. Il force à revenir à des choses simples et à sentir, avec ses sens et son coeur. Il donne envie d’apprendre les codes, ceux-là même qui permettent aux initiés de comprendre alors que je me sens mis de côté. Aujourd’hui, j’ai finalement compris que plus les formes sont simples et plus le fond est compliqué.
Les ablutions se font avant de pénétrer dans la forêt. À la base, les sanctuaires shintô ne se trouvent que dans des endroits naturels et beaux. La forêt ici, fait partie intégrante du lieu sacré. Elle est composante du sanctuaire au même titre que ses bâtiments. C’est un tout.
Construit en hinoki, cyprès japonais, ce sanctuaire n’a comme couleur que celle du bois, de la paille ou encore de la mousse qui s’invite dans des recoins humides. Pas de sculptures décoratives, ni sur le bois ni sur de la pierre. Il est nu et c’est ce qui semble le plus dérouter les touristes. Moi-même en venant la première fois ici je m’attendais à quelque chose de grandiose. Dans ma tête, le sanctuaire shintô le plus important du pays se devait d’être un symbole magnifique et imposant, à l’image d’un vatican pour le catholicisme. Je pensais en Occidental. Le lieu m’avait marqué mais il m’avait aussi vraiment déçu, sans compter que le visiteur n’a pas accès à tous les endroits et que les photos sont parfois interdites. Vous êtes prévenus !
Aujourd’hui, il est un des endroits que je respecte le plus pour son côté entier. Le Japon est un pays, une culture de l’éphémère. Ici, toute semble transitoire, comme si rien n’était fait pour durer. Ça se ressent au quotidien quand on y vit et c’est parfois dur à accepter. Aussi vieux que puisse être le sanctuaire d’Ise (construit au 7e siècle mais la légende le place un peu avant la naissance du christ), il n’a jamais plus de 20 ans. En effet, il est éternellement reconstruit après 2 décennies.
La dernière reconstruction est de 2013, date à laquelle j’y suis allé pour la seconde fois. Encore fraîchement coupé, le bois de cyprès sentait sur tout le sentier. Incroyablement doux au touché, ses torii ont capté mon attention comme aucun jusqu’alors. Je contemplais ses fibres et sentais ses effluves enivrantes, comme si sa sève s’évaporait dans l’air pour embaumer les passants. Pas besoin d’encens ici. C’était encore plus beau, et bien sûr, éphémère. Le bois ne doit plus sentir autant aujourd’hui.
Et c’est en ça qu’il est monumental ! Il ne l’est pas dans sa forme, il l’est dans son fond. Il l’est dans les efforts fournis. Il l’est dans la régularité à travers les âges de ses rituels. Il est ce qu’il y a de plus japonais. Il me force à me poser des questions. Car cette mentalité qui porte à reconstruire en permanence pour avoir perpétuellement du neuf se retrouve d’une certaine manière dans la manière dont sont pensées les villes ici. Les bâtiments prédateurs d’aujourd’hui seront un jour détruits comme leurs proie. C’est un cycle.
Je colère toujours intérieurement quand je vois toutes ces vieilles maisons traditionnelles détruites ici sans la moindre « compassion ». J’ai toujours envie de faire changer les mentalités et sensibiliser un peu ces Japonais, qui pour la plupart, n’ont que peu d’intérêt pour les vieilles constructions. Mais, quand je repense à Ise, je me dis que je vais peut-être à l’encontre de cette culture. Je pense faire ce qui est bien, alors que je risque peut-être de souiller son processus spontané. Qui suis-je pour dire ce qu’il faut faire ou pas ?
Tant qu’il y aura Ise, on pourra se rappeler ce qu’est l’âme esthétique japonaise ; quelque chose de presque incompréhensible pour nous autres Occidentaux sans apprentissage et investissement de soi. C’est tellement loin de nous à tous les niveaux !
Des parallèles d’approche similaires existent dans d’autres domaines. La cuisine par exemple. Voyez la différence entre un bol de Ramen savoureux et un délicat bouillon de bonite et algue konbu. On n’est pas du tout dans la même approche gustative. Le Japon c’est à la base plus le bouillon d’algue que le bol de ramen à base de porc. Le Japon c’est plus une sucrerie faite de riz et de haricots rouges qu’un Melon Pan.
Pareil dans la littérature. Haruki Murakami a une reconnaissance planétaire mais est avéré par beaucoup comme le plus « occidental » des écrivains Japonais. La démarche à fournir pour saisir ses livres n’a rien à voir avec celle pour appréhender un livre comme « Oreiller d’herbe » de Natsume Sôseki.
De Nikko au bol de ramen, de Murakami au Pavillon d’or, toutes ces choses sont la réalité du pays aujourd’hui. Ils sont le Japon, mais c’est bien de se rappeler que les contrastes de ce pays sont aussi ailleurs que là où on nous dit systématiquement qu’ils sont. Vous connaissez la chanson …
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