Je n’en parle pas souvent, mais la cuisine japonaise est un élément très important de ma vie. Je l’apprécie tellement que je pourrais en faire un blog à part entière. Quand je reviens trop longtemps en France, c’est un des éléments qui me manque le plus.
Cela fait quelque temps maintenant que la gastronomie japonaise connaît un vrai boum dans l’hexagone, symbole de l’influence toujours grandissante du Japon à l’international, mais aussi, ne nous le cachons pas, d’une sorte de mode. Et l’on voit fleurir plein de restaurants japonais dans nos contrées. La plupart ouvert par des patrons qui s’en foutent du Japon et qui désirent eux aussi ramasser un peu de pactoles sur le dos de cette mode.
Résultat : difficile de parler de cuisine japonaise quand l’essence même de cette gastronomie n’est pas respectée. Il n’y a souvent aucun Japonais en cuisine dans ces restaurants. Les employés seront recrutés uniquement s’ils ont les yeux bridés. Thaïlandais, Chinois, Philippins, peu importe, l’Occidental en recherche d’exotisme n’y verra que du feu.
Si ce cas est généralisé, il n’est, heureusement, pas systématique. Toujours est-il que ce manque d’authenticité globale à engendré, sous l’appellation « Restaurant Japonais », des habitudes alimentaires non japonaises et erronées, que le Français a vite adoptées malgré lui. Ce n’est pas de sa faute, mais malheureusement, on lui a souvent vendu du vent.
En Europe, la proportion des sushis sous la désignation « cuisine japonaise » est tout bonnement phénoménale ! C’est presque réducteur de limiter une gastronomie aussi riche aux seuls et uniques sushis. Combien de personnes m’ont répété avant mes premiers voyages au Japon : « prépare-toi à manger du poisson cru » ! Et quand je suis revenu, je leur ai répondu : « les sushis, c’est presque ce que tu manges le moins quand tu es au Japon ».
Il existe bon nombre de détails qui feraient hérisser les cheveux d’un Japonais tout comme l’Italien voit rouge lorsqu’on coupe les spaghetti avec un couteau ou comme le Français pourrait perdre sa salive pour expliquer que le foie gras ce n’est pas du pâté.
Quelques exemples :
– La bonne vieille sauce soja sucrée utilisée pour tremper les sushis. Mais pourquoi est elle sucrée cette sauce soja alors qu’elle ne doit pas l’être ? J’y vois juste un subterfuge pour masquer le manque de fraîcheur de certains poissons. La sauce soja sucrée a des effluves de caramel. Elle est notamment utilisée pour napper les mochi qui se consomment comme des desserts. Il est d’ailleurs drôle de voir que Kikkoman Europe a flairé le bon coup en commercialisant une sauce soja déjà sucrée pour le marché occidental. Le flacon de cette dernière est affublé d’une photo montrant la sauce versée sur le riz immaculé. Cette pratique ne se fait pas au Japon. Il existe d’autre manière d’éventuellement aromatiser le riz. Jamais je n’ai vu quelqu’un verser de la sauce soja sur son riz, qui plus est sucrée.
– Yakitori = brochettes japonaises. C’est une erreur de traduction. Voir des brochettes de boeuf ou de poisson sous le titre Yakitori est drôle quand on sait que ce mot désigne uniquement les brochettes de poulet. Brochette se dit Kushi.
– En France, un sashimi, c’est une tranche de poisson cru. C’est juste. Un maki, c’est le rouleau entouré de nori. C’est juste aussi. Un sushi, c’est une boulette de riz sous une tranche de poisson cru. C’est faux. Ça, c’est normalement un nigiri. En effet, sushi désigne au Japon la grande famille de ces préparations et non un plat en particulier.
– Le maki californien est quasi inexistant au Japon.
– Les erreurs en langue japonaise de certains restaurants tenus par des chinois sont parfois drôles. Comme le Gyudonqui devient Guydon. Le bol de Guy si je traduis.
– Le restaurant Moozé à Strasbourg a repris le principe du Kaitenzushi en le rendant pseudo-branché et cher. LeKaitenzushi, c’est le tapis roulant qui fait circuler des assiettes de sushis devant les clients qui n’ont qu’à tendre la main pour prendre celle qui leur fait envie. Pour faire court, le Kaitenzushi, c’est un peu le fast-food du sushi. C’est bon mais ça ne fait pas le poids avec une vraie petite sushiya, son comptoir et ses plats affichés en japonais sur les murs.
Moozé délire aussi sur la déco avec un posters de Bruce Lee, qui était, tout le monde le sait, pas Japonais. Mais bon, peu importe, il venait du même coin.
– Le sushi de saumon n’est pas si apprécié au Japon. D’autres poissons lui volent facilement la vedette.
J’arrête là les exemples. C’est un sujet compliqué car il implique une bataille entre authenticité et plaisir procuré par des habitudes alimentaires ancrées. Doit-on arrêter de sucrer sa sauce soja si c’est ainsi qu’on a pris l’habitude de la consommer ? C’est un choix qui vous incombe. Chacun est libre de faire ce qu’il veut. L’important c’est le plaisir, mais il me semble primordial aussi de savoir quand on s’écarte de l’authenticité. Certains établissements assument les nouvelles créations dans des restaurants dits « fusion ». Si l’on marque « cuisine japonaise », on doit la respecter.
Au vu de ces habitudes culinaires, certains touristes peuvent même être déçus par leur voyage au Japon. Déçu par le goût ou par les modes de consommation. Au Japon, un restaurant est toujours spécialisé. Il y a l’établissement où l’on mange des Ramen, celui où l’on mange des yakitori, celui où l’on mange de sushi, celui où l’on mange du curry, celui où l’on mange des nabé, celui où l’on mange des grillades, etc. Impossible donc de manger des sushi et des yakitori ensemble. Et c’est mieux ainsi, car la spécialisation est un gage de qualité. Il est impossible de tout faire correctement, alors, on se spécialise et on essaie d’atteindre l’excellence dans un domaine restreint. Une mentalité aux antipodes de celle de France.
La cuisine japonaise est un peu déroutante au début. Certains goûts sont tout de suite très bons, d’autres requièrent plus d’effort. Je compare ça à ma première tasse de café : elle n’était pas bonne. Puis, petit à petit, mon palais s’est formé et le café, je ne peux plus m’en passer.
Il est donc possible pour un Occidental d’apprendre à apprécier certaines choses ; de trouver que cuire certains poissons est presque du gâchis et à se mettre à manger des feuilles de nori comme des chips. Les bébés Japonais y arrivent, pourquoi pas moi ?
Pour finir, je tiens à féliciter et à encourager les établissements en France qui, parmi l’éventail d’arnaques, travaillent correctement, soigneusement et respectueusement sous la dénomination « Restaurant Japonais ». Merci à eux.
Amine
18 mars 2014Merci beaucoup pour ton article,
ryo
28 décembre 2017Bonjour Angelo,
très chouette analyse sur l’assiette japonisante dans l’hexagone!
Les Japonais appellent ces restaurateurs usurpateurs des « nanchatte » (dont l’équivalent littéral en anglais serait « wannabe » et en français « se prenant pour ») dont le sens premier serait de l’ordre de l’autodérision.
On dit « nanchatte » après avoir prononcé des paroles empruntées à des personnages illustres, de roman, ou en tout cas empreintes de gloire ou de grandeur, puis on revient à l’humilité caractéristique du Japonais avec « nanchatte », comme si on mettait ce que l’on vient de dire entre guillements, pour bien signaler l’autodérision ou une certaine autocensure.
Mais je ne pense pas t’apprendre grand chose à ce niveau… 😉
Pour en revenir au sujet de ce billet – et étant japonais ayant grandi en Europe – je suis assez étonné de voir davantage de snacks à sushis s’ouvrir dans nos villes que de bar à burgers ou de restos italiens.
Souvent, ils sont assez bons et originaux mais effectivement ce sont des cuisines fusion, relativement voire carrément éloignées de leurs cousines d’origine.
Je ne vais pas me plaindre de pouvoir trouver du daikon ou du shiitake dans les superettes du coin alors qu’il y a dix ans on nous regardait de travers quand on en parlait.
Les edamame ont remplacé les pistaches et autres cacaouètes dans les amuse-bouches de base, le matcha a la cote en tant que glace ou en latte, on retrouve le soba, le wasabi, la nashi, le yuzu à toutes les sauces dans les restos fusion mais même parfois dans les sandwiches…
Bref on peut dire que ce qui autrefois était l’apanage de quelques adresses spécialisées est aujourd’hui passé dans la culture populaire, et ce n’est que justice.
Par contre, je pense que les occidentaux ne réalisent pas à quel point le Japonais est habité par la nourriture en général. Etant japonais et amateur de bonne chère, je n’ai aucun mal à justifier de faire des centaines de kilomètres pour manger un bon ramen, mais les gens autour de moi ne le comprennent pas toujours.
Aujourdhui, avec la médiatisation croissante des tables de chefs et des bonnes adresses (où l’on fait passer l' »expérience » d’une bonne table comme une expérience de wellness ou de thalassothérapie), les mentalités évoluent un peu, mais je pense que l’on est encore à 100 lieues de ce qu’un Japonais éprouve vis-à-vis de la bouffe.
Il faut dire qu’il y a tellement de façons de manger différentes et de produits frais au Japon, avec ce souci de recherche de la perfection, que je ne suis pas sûr de pouvoir faire comprendre ça à un occidental sans qu’il mette un pied au Japon lui-même. Toutes ces effluves, ces senteurs, ces sons, au gré des saisons, des quartiers, des villes, de la géographie, c’est vraiment génial.
Quand il est en Europe (ou à l’étranger), un Japonais aura immanquablement envie de manger japonais dans les trois jours (un ramen, un oden, des yakisoba, des takoyaki, des onigiris, que sais-je). Par contre, je ne sais pas si un touriste français aura envie d’un cassoulet ou d’une choucroute (pour être caricatural) aussi vite 😀 (tout au plus le croissant ou la baguette jambon-beurre peut-être, après avoir été confronté au poisson grillé-riz-misoshiru tous les matins)…
Bonne continuation!