Quand on lève les yeux dans les quartiers animés du Japon, il semble qu’il n’y ait de place que pour une publicité dictée par les grandes chaînes mondiales et nationales. Entre murs de verres bien propres et mannequins représentant un idéal servit sur un plateau, l’espace qu’il reste dans la rue pour ceux qui sortent du moule semble bien maigre ici.
Même dans leur comportement, ces « Japonais rebelles » essaient de ne pas trop empiéter sur ces espaces consensuels. Pourtant la touche underground pourrait avoir un sens particulièrement fort au pays des bons sentiments et des phénomènes de masses. Plus on sort des zones huppées et plus on aperçoit une sorte de laisser aller. Je constate que parfois une même personne va respecter les règles de bienséance lorsqu’elle est autour d’une gare ou d’un centre commercial propre et moderne, mais n’hésitera peut-être pas à jeter quelques déchets par terre sous un pont ou dans un coin peu recommandable, à l’abri des regards, sauf peut-être celui du Sky Building au loin.
Au Japon, on voit des tags et graffitis, souvent peu travaillés, par ici entre les murs, par là derrière les distributeurs de boissons, comme un symbole de gens ayant envie de gribouiller une page parfois trop blanche, superficiellement parfaite.
Dire qu’il n’y a pas de tags au Japon est signe d’une méconnaissance du pays. Considéré souvent comme du vandalisme, on aime à penser que ces actes sont inexistants au pays où, de loin, tout semble si propre et parfait. S’il est clairement moins sujet au vandalisme que tous les autres pays que j’ai pu visiter, le Japon reste un pays fait d’être humains.
Mais est-ce que tous ces tags sont du vandalisme ? Je ne connais pas cet univers et j’en suis encore au point où je confonds Graffiti, Tag et Street art. Pour y voir plus clair, une recherche s’impose.
Il semblerait que le Street Art regroupe toutes les formes d’arts réalisées dans la rue. Ça englobe donc de nombreuses techniques différentes. Le Graffiti serait une forme de Street Art dont les outils principaux sont les sprays et marqueurs. Le Tag lui, serait surtout une signature stylisée appliquée dans la rue. Certains semblent vouloir marquer un territoire ainsi. N’hésitez pas à compléter ou corriger les explications en commentaire de cet article.
Je me demande à quel moment ces marques, dessins, deviennent de l’art ? Jusqu’à quand, reste-t-elles de simples signatures ou revendications ? Quand franchit-on la limite qui amène les tags vers les graffiti ? Avouons que ce n’est pas un monde évident pour tout le monde.
En général, le Japon n’aime pas trop tout ce qui est « Street ». Street Art, Street Food, Street Sport etc. Comme on a pu le voir avec Clet Abraham récemment. La rue c’est avant tout un espace de transport, un lieu fonctionnel. Sur Osaka, par endroits, la culture underground est souvent moins freinée qu’ailleurs. Moins de tags effacés, plus d’envie de s’exprimer, moins d’attitudes conventionnelle, plus de rebelles et d’excentriques, forment probablement un endroit idéal pour ceux qui souhaitent découvrir à quoi peu ressembler la culture underground urbaine ou graphique nippone.
Clet Abraham a beau être considéré comme un artiste, ce qu’il fait est surtout vu comme une pratique illégale. Le monde lui a apporté assez de tolérance et respect pour continuer ses activités mais au Japon ça ne passe pas (auprès des autorités). Il est finalement assez rare de voir les panneaux de signalisations transformés par quelque personne que ce soit. Sur la photo ci-dessous on voit bien que si le panneau du bas est dorénavant illisible, le flèche sur fond bleu reste intacte. Ce panneau recouvert de stickers n’est pas un panneau de signalisation pour les voitures, mais d’information (assez inutiles d’ailleurs) pour les piétons.
J’ai passé du temps à observer ce monde du Street Art. J’ai observé beaucoup de Tags que je considère comme un griboulli pas très joli, et d’autres oeuvres qui attirent franchement mon regard et force le respect. Parfois on a aussi affaire a de véritables peintures urbaines.
Je ne décode pas toujours ce que je vois. J’ai vu des intégrations discrètes, mais aussi des détails osés et provocateurs.
Osaka regorge de petites choses plus où moins intégrées volontairement et qui la pigmente comme un grain de beauté, entre tâche et sensualité. J’aime voir la charmante erreur intrusive qui apporte la différence au pays de l’uniformité.
Certains envoient des messages engagés, comme ci-dessous. Un rat qui porte un masque à gaz avec un baril de pétrole pour le Tohoku, région touchée par la double catastrophe du tsunami et de la centrale de Fukushima.
Pourtant, si parfois on tombe sur de belles surprises assumées comme une girafe géante qui vous observe dans un coin de béton …
… la plupart du temps il n’y a aucun intérêt à ces jets de peinture. Peu de choses intéressantes à se mettre sous la dent au Japon. Il faudrait encore approfondir et aller à la rencontre des acteurs locaux de cet univers.
Une vieille maison délabrée, des tags sur cette surface abandonnée, et pour certains ça semble être la définition d’une décharge. La police est obligée de mettre un panneau rappelant que ce n’est pas ici qu’on jette ses déchets encombrants.
Ceux qui mettent leurs déchets encombrants là, doivent se dire qu’ils ont meilleure conscience que de les balancer dans la rivière ou la forêt comme c’est parfois le cas. Au moins, ici, quelqu’un s’en occupera. L’important c’est de ne pas être vu, afin de pouvoir continuer à faire le beau devant tout le monde demain dans les quartiers chics brossés au peigne fin. Peu importe si autre part, les murs tirent la langue face à l’hypocrisie de certains.
Armé de mon appareil photo, j’engage une partie de cache-cache avec les tags. Quelques pas dans des coins « peu recommandables » suffisent pour en voir en pagaille. Les arrières ruelles ou encore les zones proches des poubelles.
Continuant mon avancée dans ces sombres ruelles, je tombe rapidement sur les quartiers chauds.
Mais dans ces coins où la prostitution n’est jamais loin, ce sont les Love Hotel qui apportent couleur et graphisme à la ville.
À bien y penser, le Japon semble accepter tous les délires urbains possibles, tant que c’est en rapport avec une activité commerciale. Je continue mon chemin et me retrouve sous les ponts ; ceux qui semblent vous aspirer dans le noir.
Je remarque que les parkings de seconde zone sont souvent des lieux de choix.
En levant les yeux dans des coins en apparence plutôt « clean », je suis quelques fois surpris.
Et là, je tombe sur un mur comme on en voit peu au Japon. Comme une impression d’être dans une ville américaine d’un coup. Ici, on voit plusieurs couches de graffitis, comme s’il n’y a avait pas de respect envers la composition précédente.
Parfois les devantures d’immeubles ont beau être propre, un tour par l’arrière permet de voir une autre réalité. Les voyages m’ont appris à me méfier de tout ce qui semble trop reluisant, des bâtiments aux coeurs de gens.
Mais il y a un quartier à Osaka qui semble vouloir assumer un peu plus l’art de rue. Par extension, il est devenu beaucoup plus indulgent face à ce qu’on considère comme du vandalisme dans le reste du pays. Faut dire que même les lampadaires sont des oeuvres urbaines comme on en voit nul part ailleurs au Japon. Son nom : Amerikamura
Ici, les distributeurs de boissons sont recouverts d’autocollants.
Peu de murs sont immunisés contre ces touches grouillantes.
D’autres murs ont été mis à dispositions d’artistes urbains leur permettant d’opérer de manière tout-à-fait légale. Ils peuvent donc prendre leur temps.
Certaines oeuvres semblent dénoncer que certains ont le droit de sourire tandis que d’autres ont le droit de se taire.
Ce que j’aime c’est qu’on aperçoit plus de qualité graphique ici.
Même les parkings, normalement gris et ternes, deviennent intéressants ici.
Ici, les vélos ne ressemblent pas aux autres. Mais s’ils passent presque inaperçus à Amemura, ils dénotent totalement dans d’autres zones d’Osaka.
Il y a des douleurs dans la vie et des blessures sociales dans le monde entier. Le coeur des hommes peut parfois vite se laisser inonder de colère. Certains cherchent un espace où se faufiler afin de ne pas trop serrer les dents. Nos gestes sont parfois de simples actions thérapeutiques face à une vie moderne qui ressemble de temps en temps à une promenade sur du sable mouvant. Revenir à la surface est pour certains synonymes d’affirmation de soi. « Think for yourself » comme diraient certains. Alors au Japon comme partout, pour éviter les effluves de sang, les murs, parfois, saignent de l’encre.
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Falidu
3 mars 2015Super article Angelo !
Il est une fois de plus intéressant de voir une autre face cachée du Japon.
Je me permets d’apporter une précision à ton article, car ayant moi même fait l’erreur lors d’un post sur le graffiti à Miami. Tu présentes ces « ouvres » comme des tags hors attention il y’a aussi du graffiti dans tes photos ! Le tag est associé à un acte de vandalisme tandis que le graffiti constitue une forme d’art urbain.
Falidu
3 mars 2015Autant pour moi … tu l’expliques bel et bien sorry lol
Angelo Di Genova
3 mars 2015Je confondais bel et bien tout ça il y a encore peu de temps. Et je crois que ce n’est pas encore tout-à-fait clair encore. Certains artistes ne semblent d’ailleurs pas tous avoir la même définition notamment entre Street Art et graffiti. Alors imagine pour une personne extérieure à cet univers à quel point ça semble difficile de distinguer les nuances parfois.
Tu étais à Miami, ça devait envoyer du lourd ! Ici, j’ai vu qu’il y avait de bons artistes mais faudrait vraiment que j’essaie de les rencontrer un jour 🙂
Ronan
3 mars 2015Jolie réflexion et encore une fois très bien écrite!! 🙂
Angelo Di Genova
3 mars 2015Merci Ronan ! Merci d’avoir lu jusqu’au bout 😀
will-uchan
4 mars 2015Bonjour/Bonsoir Angelo.
As-tu lu le bouquin « Les Japonais sont-ils différents? » de Jean-Luc Azra.
Ton billet, non, reportage sur le Street Art au Japon me rappelle beaucoup un passage de ce livre : 迷惑 / Gêne occasionnée p122, p123.
Pour faire son expérience, il pose son vélo à un endroit où il est formellement interdit de le garer. En une heure, une vingtaine de vélos sont à coté du sien. Alors qu’il n’y en a jamais d’habitude.
Un le fait, initialise le « phénomène », les autres suivent.Il appelle ça la « permission sociale ».
Peut-on penser que c’est la même chose pour le Steet Art ?
Question qui peut paraitre surprenante : proposes-tu ce circuit dans ton safari ?
Angelo Di Genova
4 mars 2015Bonjour Will !
Je n’ai jamais lu ce livre. J’en avais entendu parlé. Ça a l’air intéressant. Les articles écrit par Jean-Luc Azra sont toujours intéressants. On sent qu’il sait de quoi il parle concernant les aspects sociologiques du Japon.
Sont terme de « Permission sociale » est parfaitement juste. On le constate beaucoup avec le code de la route, beaucoup plus laxiste que chez nous dans son application.
Pour le Street Art je pense qu’il peut en effet y avoir comme un effet boule de neige.
Je ne propose pas ce circuit parce qu’on ne me l’a jamais demandé ^^ Mais c’est possible, bien que les différents murs sont parfois trop séparés les uns des autres. Il faudrait travailler la chose. En revanche, quand je passe devant du Street Art, je ne manque jamais d’attirer le regard des voyageurs.
Jordy Meow
5 mars 2015On dirait que Miss Tic est passée par Osaka ! Ou alors c’est une copie… très sympa 🙂
Angelo Di Genova
6 mars 2015Je ne connaissais pas la Miss 🙂 C’est vrai qu’il y a un air de ressemblance. La prochaine fois que je repasse devant, je ferai attention.
ShootJapan
5 mars 2015Très sympa !
Angelo Di Genova
6 mars 2015Merci 🙂
Sweet
10 mars 2015Les photos sont bien sûr superbes, mais j’ai surtout adoré ton texte et tes commentaires. C’est un très joli article, merci pour cette balade 🙂
Angelo Di Genova
10 mars 2015Merci 🙂 Content de voir que tu as aimé l’article ! C’est à contre courant de ce qu’on peut lire si souvent sur le pays. J’ai parfois peur que ce soit mal compris. Ton commentaire me rassure 😀
Kansaijin
10 mars 2015Salut Angelo
Non, pour moi, il n’y a « pas de tags au Japon » ! 🙂
Disons qu’ils ne dénotent pas autant qu’en Europe, sont moins répandus, moins agressifs, véhiculent moins de sentiments d’insécurité.
Ces graffitis que tu as du mal à décoder à cause de leur manque d’efforts évidents point de vue esthétique évoquent pour moi des signatures, une manière de s’affirmer, laisser une trace de son existence, interpeler, comme à l’époque où les petites photos « pulicula » faisaient fureur, il s’agissait de coller son portrait le plus possible dans les lieux publics… Ca me fait penser aussi aux « bôsôzoku » qui envahissent comme ils peuvent l’espace sonore… Et il y a aussi, je crois, quelque part, une envie d’imiter les villes occidentales !
Angelo Di Genova
12 mars 2015Merci Valérie ! Merci d’adorer 🙂
Content de voir que tu sais prendre mes propos pour ce qu’ils sont. Comme tu le soulignes, je me laisse aller lors de ces articles. Ce sont des pensées, justes ou non, ça ne reste que des réflexions instantanées et le lecteur est libre d’en faire ce qu’il en veut.
Si ta fille est encore petite, il vaut mieux attendre ^^
mrtouit
2 avril 2015C’est toujours sympa de voir « l’autre » Japon. Je me demande si c’est Tokyo est trop policée par rapport au reste ou a l’inverse si c’est juste Osaka qui a l’air d’avoir une culture underground très présente?
Angelo Di Genova
2 avril 2015Tokyo est clairement plus formatée qu’Osaka. Suffit de venir se place pour le remarquer. Mais je reste persuadé que j’aurais pu faire un article bien fournit sur le sujet même dans la capitale. J’ai toujours vu des tags à Tokyo !
Planete Maneki
8 juillet 2015Bonjour Angelo,
En voilà un article et un thème intéressant, ça sort complètement des sentiers battus. En plus, ça me parle très clairement puisque j’apprécie le street art de plus en plus. C’est vrai que même à Tokyo, ville gigantesque, on ne voit que très peu de graffitis très travaillés.
Enfin je n’ai jamais cherché à trop fouiné.
Merci en tous les cas pour le sujet et surtout aussi pour les photos. La girafe est splendide !!
David
11 juillet 2015Bonjour,
Je connais bien, disons pas mal, Tokyo et Kyoto, et, la présence de tag est très très rare. Il est donc faut de dire qu’il n’y en a pas, mais on peut presque le dire !
Pour ma part, je n’ai jamais compris ces gribouillages dégradants, vulgaires et laids. Et, lorsque je suis à Paris, par exemple, j’ai vraiment honte de voir ce qu’est devenu cette ville (relatif en fonction des quartiers).
Bref, là encore, les japonais savent faire preuve de civisme et de goûts artistiques pour les choses simples qui embellissant la vie et qui ne l’enlaidissent pas !
Merci pour votre partage de photos et de textes.
Angelo Di Genova
5 août 2015Merci pour le commentaire. Les Japonais respectent beaucoup de choses tandis que chez nous certains ne le font pas.
Mais parfois ils auraient envie de le faire comme ces même-personnes en France mais se l’interdisent.
Le Japon est un pays où le mauvais goût est très souvent présent. Il est même en abondance par endroit. Donc, sur les goûts artistiques des Japonais je mets des pointillés ^^
Et un mur de béton gris n’est pas forcément plus joli qu’un mur avec un oeuvre graphique dessus, si t’en est qu’elle soit travaillée, ce qui n’est pas souvent le cas ici malheureusement.
Mon article parle bien la différence entre les tags et les graffitis, mais il y a une portée symbolique forte avec le Street Art lorsqu’il est employé dans ces quartiers récents, froids, impersonnels et bétonnés. Sur Paris et ses les zones historiques de villes je ne le validerais pas néanmoins.