Les Yatai, l’âme des rues d’Asie ?

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Le son d’une chalemie résonne au loin dans les ruelles du quartier. Des jeunes hommes en costard marchent encore en ces heures tardives sous la pleine lune. L’un d’eux s’exclame :

« Ah ! Je veux manger des ramen ! »

C’est alors qu’ils se dirigent vers le son. Un homme d’âge avancé pousse un chariot de bois illuminé par des lanternes apparaît au coin d’une rue. 

« Occhan ! Trois bols de Ramen s’il te plait ! »

L’homme pose alors son chariot, range sa chalemie, allume sa radio et passe vers l’arrière où se trouvent deux grosses marmites, une pour le bouillon et l’autre pour l’eau chaude. 2 minutes plus tard. Les bols sont prêts tandis que Kiiroi Sakuranbo des Three Cats passe. Ces ramen ce ne sont pas les meilleurs de leur vie, mais dans la fraicheur nocturne, la chaleur du bol qui fume a quelque chose de réconfortant. 

DES ÉCHOPPES EMBLÉMATIQUES

Les Yatai, sorte de stands ambulants, sont monnaie courante en Asie. Pour nous autres, Occidentaux, ils revêtent d’une part d’exotisme mystérieux. Charmants mais douteux à la fois, on se laisse avoir parfois de bon coeur face à des vendeurs insistants. L’Europe a aussi connu ce genre d’ambiances mais notre société cartésienne, régulée et aseptisée ne laisse plus vraiment de brèche pour l’improvisation dans l’espace de nos rues pavées. Enfermés dans une mentalité binaire où le monde se sépare tout simplement entre ce qui est légal et illégal, on s’étonne de voir le charmant bordel organisationnel qu’il peut encore y avoir dans les villes où cette frontière est moins palpable.

Merci à Ronan (TanuKitsuNeko.com pour la photo

Car oui on aime à penser le Japon comme d’un pays hyper régulé, discipliné et aseptisé. A tel point qu’il ferait passer l’Europe pour le dernier de la classe en terme d’organisation. Mais si on regarde de près le Japon on constate que cette image n’est que partiellement vraie et que cette structuration est en réalité assez récente ici. Sans compter qu’il reste encore vraiment beaucoup de zones dites grises ; ni blanches, ni noires. Qu’on le veuille ou non, le Japon reste un pays d’Asie.

HISTOIRE DES YATAI AU JAPON

Les Yatai ont avant tout commencé pour répondre à un besoin, une demande. Un évènement désastreux comme le grand incendie de Meireki en 1657 à Edo aurait eu une grande influence dans le développement de ces stands ambulants. Il faut savoir qu’on estime que cet incendie aurait détruit plus de la moitié de la ville, faisant environ 100 000 morts. De nombreux travailleurs venus la reconstruire se pressèrent dans les zones dévastées. Afin de les nourrir des restaurateurs, plus ou moins improvisés, se seraient installés sur le bord des routes pour palier le manque de véritables établissements. Le principe a eu du succès et se serait développé ensuite pour sa chaleureuse convivialité.

Estampe montrant les Yatai dans les rues d’Edo

Les stands Yatai aujourd’hui ce sont surtout ces échoppes provisoires qui s’installent lors des festivals et Matsuri au Japon, notamment près des cerisiers en fleur. Mais ici, je préfère me pencher sur ces restaurateurs ambulants qu’on trouve dans la rue. J’avais d’ailleurs déjà parlé des fameux Yatai de Fukuoka.

Jusqu’à récemment, même en plein coeur d’Umeda, pile en face du Yodobashi Camera on pouvait en voir. C’est impensable aujourd’hui !

Merci à Thomas du blog La rivière aux canards pour cette photo prise en 2002

LE DÉCLIN

Petit à petit, les Yatai disparaissent. Et ce n’est pas que le Japon qui est touché. Plus un pays d’Asie se développe et s’enrichit et moins on en voit, comme s’il était une échelle de mesure du « progrès » économique. Bangkok étudie d’ailleurs la possibilité d’interdire purement et simplement la Street Food.

Pour beaucoup, ces stands font vraiment vieille Asie crasseuse et démodée. Leur disparition fait entrer le pays dans la modernité aux yeux de leurs dirigeants. 

Voici par exemple la comparaison entre une photo prise en 2011 sur les bords de la rivière Akagawa à Osaka et ce qu’on y trouve aujourd’hui : grillage, béton. Le béton, cette réponse à tant de problèmes au Japon.

Photo de Kens7a (http://blog.livedoor.jp/cm9onf777/) et Google

LES RAISONS DE LEUR LENTE DISPARITION

  • Beaucoup sont liés à la mafia locale. Difficile pour le pays de contrôler ces business, de réguler les emplacements pris et récupérer sa part de bénéfice.
  • Des lois de plus en plus restrictives, notamment sur l’hygiène. Donc plus complexe à mettre en place.
  • Les Yatai ont une image sale et négative parfois. Une partie de la population boude ces « vieilleries dignes des périodes de disettes de l’après-guerre ».
  • À l’époque, les Yatai commençaient quand les magasins et restaurants standards fermaient. Aujourd’hui, beaucoup de restaurant restent ouverts jusqu’à très tard la nuit. Plus besoin de se replier sur les stands de rue.

Les premiers JO à Tokyo en 1964 ont été la première grosse vague de disparition des Yatai. Il fallait mettre en ordre les rues de la capitale pour montrer au monde l’entrée dans la modernité (Occidentalisée) du Japon. Ils subsistent encore un peu malgré tout aujourd’hui. Mais les prochains Jeux de Tokyo en 2020 pourraient bien donner l’ultime coup de massue à ce monde déjà si bancal.

Merci à Geoffrey (Suteki.fr) pour la photo

Il reste toujours de la Street Food au Japon, notamment dans certains quartiers d’Osaka. Mais ça reste des établissements permanents. J’aime l’idée de ces restaurants transportables ou improvisés. Le problème qu’ils peuvent poser sont compréhensibles. Je trouve normal qu’on veuille un peu réguler tout ça et éviter les risques et accidents. Mais n’y a-t-il pas des solutions alternatives afin d’éviter leur totale disparition ?

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9 Comments
  • Vincent
    16 juillet 2017

    Super article.
    On en trouve encore quelques uns sur Tokyo, surtout du côté du bunkyo. Mais comme toutes les « vieilles » choses, elles sont repoussées un peu plus loin du centre ville tous les ans.

    C’est amusant de voir le côté paradoxal qu’ont les japonais sur ce sujet. D’un côté, ils trouvent souvent que c’est une coutume obsolète, et non souhaitable. De l’autre ils vont à Taïwan pour revivre ce Japon d’hier, avec des yeux d’enfants et une forte nostalgie.

    Toujours est-il que cette ambiance à 3h du matin est un régal. Un petit bout d’histoire, assis sur un vieux tabouret, à manger ton raamen sous l’œil amusé et curieux d’ojisan. Un moment proustien 🙂

    • Angelo Di Genova
      17 juillet 2017

      Merci Vincent 🙂
      Ce que tu soulignes est très juste. En réalité, la plupart des Japonais aiment ça mais certains ne l’assument peut-être pas. Ça doit faire mauvais genre, je sais pas.

  • Jeremy
    18 juillet 2017

    Ayant été au Japon pour la première fois après avoir visite l’Asie, la quasi non-existence de Street Food fut de loin ma plus grosse déception (avec le manque de terrasses a Tokyo). Je peux comprendre certains aspects de leur disparition mais à mes yeux d’occidental, c’est le plus gros charme de l’Asie et je suis très triste de savoir que ça ne pas en s’améliorant ! Ta photo 2011/2016 est très triste à voir !
    Tu m’étonnes que les Yatai de Fukuoka ont du succès auprès des visiteurs et que j’y ai passé de nombreuses soirées 😀

    • Angelo Di Genova
      20 juillet 2017

      Merci pour ton commentaire.
      Oui, la bouffe de rue c’est quelque chose qu’on attribue souvent à l’Asie. Mais ce n’est pas pour autant une spécificité purement asiatique.
      Dans mon article là, je parle surtout des Yatai qui est une sorte de Street Food, de loin la plus typique et parfois qui dit typique dit fragile.
      Les Yatai de Fukuoka ont aussi des problèmes. Il n’est pas dit qu’ils survivent éternellement dans l’état actuel. Seul l’avenir nous le dira. Moi j’aimerais tellement que le pays puisse faire évoluer tout ce monde pour le réguler sans avoir à le supprimer. On parle quand même d’un pan de la culture du pays.

  • David
    22 juillet 2017

    Merci pour cet article, Angelo. 🙂

    Ici, il en reste encore quelques uns, mais ils sont « modernisés » : l’arrière des camionnettes plutôt que sur des chariots.
    Mais même ici, ils disparaissent. Quand je suis arrivé en 2011, il y en avait un qui passait en bas de chez moi tous les vendredis soirs vers 23h00 mais il a disparu il y a trois ans environ.

    Il y a quelques semaines, un autre est passé une ou deux fois, mais je ne l’ai pas revu. Étrange.

  • Maryline G
    22 juillet 2017

    Article tres interessant ! J ai beaucoup aime les yatai à Fukuoka il y a 2 ans – à Bangkok projet de suppression du streetfood, quelle tristesse pour nos papilles et La vraie vie locale 🙁

    • Angelo Di Genova
      23 juillet 2017

      Oui, c’est vraiment dommage de voir tout ce monde être amené à disparaitre petit à petit. Heureusement, il est encore possible d’en profiter 🙂 C’est toujours étonnant de voir comme les tendances, les évolutions, les changements d’un pays ou d’une société sont dictés par des cycles.

  • Marie
    1 septembre 2019

    J’adore tout ça. Je viens de lire aussi le papier sur les Yatai de Fukuoka, grâce à Alex de Voyageurs.
    Ça me désole de voir la transformation formatisée…. J’ai hâte de profiter des derniers Yatai lorsque nous reviendrons au Japon en Novembre prochain.
    Merci pour cette « mise en bouche » et à bientôt bien sûr. J’ai hâte, mes papilles et mon Olympus aussi.

    • Angelo Di Genova
      3 septembre 2019

      Bonjour Marie,
      Content de vous voir commenter sur ces pages 🙂 ça me fait très plaisir.
      Hâte de vous revoir au Japon.
      A bientot !